Un dossier du cabinet, plaidé le 10 janvier 2024, donne l'occasion de revenir sur la réforme du "verrou de Bercy" par la loi du 23 octobre 2018.
Le Cabinet a obtenu du Tribunal correctionnel de Paris la reconnaissance de l'irrecevabilité des poursuites pour fraude fiscale après avoir rappelé que la plainte préalable de l'administration fiscale faisait défaut. Il doit être rappelé que la procédure particulière applicable aux poursuites pénales pour fraude fiscale a été modifiée par la loi du 23 octobre 2018, opérant un profond changement au stade de l'initiative des poursuites.
Cette affaire du cabinet illustre la spécificité de cette infraction. Accrochez vous.
Un client du cabinet était poursuivi, à l’initiative du Procureur de la République, des chefs d’abus de bien social, fraude fiscale et usage de chèques contrefaits.
Les poursuites pour fraude fiscale étaient fondées sur l’article 1741 alinéa 1er du Code général des Impôts, qui réprime la fraude fiscale générale découlant notamment de l’absence ou du retard de dépôt des déclarations fiscales dans les délais prescrits.
Le dernier alinéa de l’article 1741, fondement des poursuites, prévoit que lesdites poursuites sont engagées dans les conditions prévues aux articles L.229 à L.231 du Livre des procédures fiscales.
L’article L.229 du Livre des procédures fiscales dispose que « les plaintes sont déposées par le service chargé de l’assiette, du contrôle ou du recouvrement de l’impôt sans qu’il y ait lieu de mettre, au préalable, le contribuable en demeure de régulariser sa situation. »
L’article L.230 fixe le délai de prescription et l’article L.231 fixe la compétence territoriale des tribunaux correctionnels en matière de fraude fiscale.
Ces articles s’inscrivent dans la continuité des articles L.227 du même Livre, prévoyant qu’en cas de poursuites pénales tendant à l’application des articles 1741 et 1743 du Code général des impôts – ce qui était le cas en l’espèce – le ministère public et l’administration doivent apporter la preuve du caractère intentionnel de la soustraction ou tentative de soustraction.
L’article L.228 fixe les conditions dans lesquelles les poursuites pénales pour fraude fiscale peuvent être engagées.
Avant la loi du 23 octobre 2018, aucune poursuite pénale ne pouvait être engagée par le Ministère public en l’absence d’une plainte préalable de l’administration fiscale, sur avis conforme de la commission des infractions fiscales saisie par le Ministre du Budget. Depuis cette loi, les choses se sont compliquées. Mais les dispositions modificatives de la loi du 23 octobre 2018 ne sont applicables qu’aux contrôles pour lesquels une proposition de rectification a été adressée à compter de la publication de ladite loi.
Or, en l’espère, les seules propositions de rectification concernant le client du cabinet dataient de 2017, de sorte que les nouvelles dispositions n'étaient pas applicables.
L’article L.228 dans sa version en vigueur entre le 8 décembre 2013 et le 25 octobre 2018, applicable au cas d’espèce, prévoit qu’« à peine d’irrecevabilité, les plaintes tendant à l’application des sanctions pénales en matière d’impôts directs, de taxe sur la valeur ajoutée et autres taxes sur le chiffre d’affaires (…) sont déposées par l’administration sur avis conforme de la commission des infractions fiscales ».
Cette règle de procédure, couramment appelé « le verrou de Bercy » existe depuis plus d’un siècle (création par une loi de 1920) et subordonne ainsi l’engagement de poursuites pénales au dépôt préalable d’une plainte par l’administration fiscale.
Cette disposition a été déclarée conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 22 juillet 2016 considérant que “les dispositions contestées n'instituent, par elles-mêmes, aucune différence de traitement entre les auteurs présumés d'infractions contre lesquels l'administration dépose plainte”.
Aucune poursuite pour fraude fiscale ne peut, dès lors, être engagée sans la plainte préalable prévue par le Livre des procédures fiscales.
Dans l'affaire qui nous intéresse, aucune plainte n’ayant été déposée par l’administration, les poursuites de ce chef devaient en conséquences être déclarées irrecevables par le Tribunal correctionnel, le Parquet ne pouvant prendre l'initiative des poursuites.
Précisons que dans notre affaire, les dispositions nouvelles, en vigueur depuis le 23 octobre 2018, n’autorisaient pas plus des poursuites à la seule initiative du Ministère public.
L’alinéa 7 du I de l’article L.228 dans sa version actuelle prévoit que lorsque l'administration dénonce des faits en application du « présent I », l'action publique pour l'application des sanctions pénales est exercée sans plainte préalable de l'administration.
Or, le I de l’actuel article L.228 prévoit simplement une obligation de dénonciation par l’administration fiscale au procureur de la République des faits qu’elle a examinés dans le cadre de son pouvoir de contrôle et qui ont conduit à l’application, sur des droits dont le montant est supérieur à 100 000 € :
- Soit à la majoration de 100%, prévue à l'article 1732 du code général des impôts ;
- Soit de la majoration de 80 % prévue au c du 1 de l'article 1728, aux b ou c de l'article 1729, au I de l'article 1729-0 A ou au dernier alinéa de l'article 1758 du même code ;
- Soit de la majoration de 40 % prévue au b du 1 de l'article 1728 ou aux a ou b de l'article 1729 dudit code, lorsqu'au cours des six années civiles précédant son application le contribuable a déjà fait l'objet lors d'un précédent contrôle de l'application des majorations mentionnées aux 1° et 2° du présent I et au présent 3° ou d'une plainte de l'administration.
Dans notre affaire, le contrôle et les propositions de rectification adressées au client du cabinet, tant à titre personnel qu’en qualité de représentant légal de sa société, ne portaient pas sur des droits supérieur à 100 000 €, étant en outre précisé que ces droits ne se cumulent pas s’agissant de ceux intéressant la personne physique et de ceux intéressant la personne morale.
Au surplus, la seconde condition cumulative de majoration n'était pas remplie, ni le client ni sa société n’ayant pas fait l’objet d’un précédent contrôle ou d’une précédente plainte antérieurs aux propositions de rectification de 2017 seules présentes au dossier de l’enquête.
Le II de l’actuel article L.228 du Livre des procédures fiscales maintient, dans toutes les situations non prévues au I, l’obligation d’une plainte préalable de l’administration fiscale, laquelle doit, à peine d’irrecevabilité, être déposée par l'administration à son initiative, sur avis conforme de la commission des infractions fiscales.
Comme on le sait, aucune plainte n’ayant été déposée par l’administration fiscale que ce soit à l’encontre du client du cabinet ou de sa société, les poursuites diligentées à la seule initiative du Procureur de la République demeuraient irrecevables même sous l'empire de la nouvelle loi.
Maître Marcé a également obtenu la relaxe du chef d'usage de chèques contrefaits, le client n'ayant finalement été condamné qu'à une légère amende pour abus de bien social.
Écrire commentaire