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RELAXE POUR ABSENCE D'INFRACTION

Retour sur la notion de bien d'autrui dans le cadre de l'infraction de destruction volontaire par incendie.

Le Ministère public avait décidé de poursuivre un client du cabinet du chef de dégradation ou détérioration volontaire "d’encyclopédies trouvées sur la voie publique pour allumer un barbecue" par l’effet d’une substance explosive, d’un incendie ou de tout autre moyen de nature à créer un danger pour les personnes.

 

La précision, si elle peut prêter à sourire, est importante : on parle donc d'encyclopédies trouvées sur la voie publique qui ont été enflammées pour allumer un barbecue sauvage.

 

Etaient visés, dans l’acte de saisine du Tribunal, les articles 322-6 alinéa 1, 322-15 et 322-18 du Code pénal.

 

Si les deux derniers de ces textes sont relatifs aux peines complémentaires et à la peine de suivi socio judiciaire et intéressent peu au stade de la déclaration de culpabilité, le premier, qui constitue le texte d’incrimination, nécessite de s’y attarder.

 

L’alinéa 1er de l’article 322-6 du Code pénal dispose ainsi que :

 

« La destruction, la dégradation ou la détérioration d'un bien appartenant à autrui par l'effet d'une substance explosive, d'un incendie ou de tout autre moyen de nature à créer un danger pour les personnes est punie de dix ans d'emprisonnement et de 150 000 euros d'amende. »

 

Cette incrimination suppose ainsi la réunion de plusieurs éléments matériels :

  • Un acte de destruction, dégradation ou de détérioration,
  • Portant sur un bien appartenant à autrui,
  • Par l'effet d'une substance explosive, d'un incendie ou de tout autre moyen de nature à créer un danger pour les personnes.

Cette affaire a conduit Maître Marcé, suivie par le Tribunal correctionnel de Paris, a revenir sur des notions anciennes qui nous viennent du droit romain :

  • La « res derelicta » est une chose qui a eu un propriétaire, mais que ce dernier a rejetée et que tout un chacun peut alors la faire sienne.
  • Laquelle se distingue de la « res nullius » qui n’appartient encore à personne, mais qu'il est possible de s’approprier (le gibier par exemple).

Ce n'est pas tous les jours que le Doyen Carbonnier est invoqué au cours d'une audience correctionnelle !

 

Voici ce qu'il écrivait à ce sujet dans son Manuel de Droit civil : « Les res derelictae sont des objets mobiliers que leur propriétaire a volontairement abandonnés (…) si bien que, lorsque la prise de possession se produit, elle ne rencontre pas une propriété préexistante. »

 

De la même manière, Vitu, dans son Traité de droit pénal spécial écrivait : « On appelle res derelicta l'objet qui, autrefois propriété privée, a été abandonné par le propriétaire, volontairement et dans l'intention de le laisser définitivement à la disposition du premier occupant. »

 

La Cour de cassation en tire les conséquences en matière pénale, en retenant que nul ne peut être poursuivi du chef de vol pour avoir récupéré des objets jetés, de sorte que son ancien propriétaire avait clairement manifesté son intention de les abandonner [1] :

 

"Vu les articles 311-1 du code pénal et 593 du code de procédure pénale ;

 

Attendu que, d'une part, selon le premier de ces textes, le vol est la soustraction frauduleuse de la chose d'autrui ;

 

Que, d'autre part, en application du second de ces textes, tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux chefs péremptoires des conclusions des parties ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;

 

Attendu qu'il ressort de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure que Mme Y..., directrice d'un magasin à l'enseigne Maximarché, a été poursuivie du chef de vol pour avoir soustrait des produits périmés qui avaient été mis à la poubelle du magasin dans l'attente de leur destruction ; qu’elle a été relaxée par un jugement dont le procureur de la République puis la partie civile ont interjeté appel ;

 

Mais attendu qu’en se déterminant ainsi, alors qu’il résulte des énonciations de l’arrêt que, d’une part, il était constant que les objets soustraits, devenus impropres à la commercialisation, avaient été retirés de la vente et mis à la poubelle dans l’attente de leur destruction, de sorte que l’entreprise avait clairement manifesté son intention de les abandonner, d’autre part, le règlement intérieur interdisant à la salariée de les appréhender répondait à un autre objectif que la préservation des droits du propriétaire légitime, s’agissant du respect par celui-ci des prescriptions d’ordre purement sanitaire de l’article R. 112-25, alors applicable, du code de la consommation, et était sans incidence sur la nature réelle de ces biens, la cour d’appel n’a pas justifié sa décision ; ».

 

Nous avons soulevé que la notion de « chose d’autrui » dans le texte d’incrimination du vol et la notion de « biens appartenant à autrui » dans le texte d’incrimination dans notre affaire de destruction du bien d'autrui par l'effet d'un incendie devaient nécessairement recevoir la même interprétation. 

 

Or, en poursuivant expressément notre client pour la dégradation « d’encyclopédies trouvées sur la voie publique », le Ministère public avait, dès la qualification des faits, reconnu que les éléments matériels du délit poursuivi n’étaient pas réunis. Des biens abandonnés sur la voie publique – en l’espèce des encyclopédies – constituant à l’évidence des « res derelictae » qui ne peuvent en aucun cas recevoir la qualification de « bien appartenant à autrui ».

 

Le Tribunal correctionnel a relaxé notre client, après avoir, à notre demande, annulé son audition réalisée en violation de l'article 65 du Code de procédure pénale. Une belle décision démontrant une nouvelle fois l'importance d'être assisté d'un avocat devant le Tribunal correctionnel.

 

 

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[1] Cass. Crim. 15 décembre 2015, pourvoi n°14-84.906 

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