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L'INFLUENCE CROISSANTE DU PRINCIPE DE PRECAUTION EN DROIT PENAL


Les évolutions législatives des dernières années et l’essor du Tribunal médiatique interrogent sur l’émergence récente du principe de précaution en droit pénal.

Aux antipodes du principe de subsidiarité, pourtant directeur, ce nouveau principe semble, non pas entrainer une obligation de précaution dans l’utilisation du droit pénal, mais au contraire donner place à une vision du droit pénal nouvelle, le plaçant au premier rang des réponses aux menaces hypothétiques de survenance d’un comportement contraire aux règles de vie en société.

 

Le point de départ de cette réflexion repose sur un constat : le principe de précaution est en passe de coloniser le droit pénal après avoir émergé dans d’autres disciplines, comme le droit à l’environnement, le droit administratif ou le droit civil.

 

Ce principe semble ainsi s’imposer à tous les stades de la procédure pénale, impliquant une mise en concurrence avec les autres principes directeurs. De manière générale, le principe de précaution semble tout d’abord vider le principe de subsidiarité de toute effectivité, en prônant une prééminence de la réponse pénale.

 

Que l’on se situe au niveau de la définition de l’infraction avec une création continue de nouvelles infractions obstacles (visant à réprimer des comportements parce qu’ils seraient seulement susceptibles de créer un risque à autrui), en matière d’enquête préliminaire ou d’instruction par l’utilisation systématique de mesures de contrainte au détriment de l’effectivité de la présomption d’innocence, ou au stade de la fin de peine (qui a vu la création de la rétention de sûreté), le principe de précaution entre en concurrence avec de nombreux principes directeurs de la procédure pénale.

 

Les principes de légalité, de prévisibilité, de clarté et de précision de la norme pénale, les principes de nécessité et de proportionnalité et évidemment la présomption d’innocence subissent des attaques incessantes dont ils sortent de plus en plus écornés.

 

Le besoin de surveiller et de prévenir, par le biais de mesures privatives de libertés, semble aller croissant à mesure que le principe de précaution s’ancre dans la société.

 

En matière pénale comme pour le reste, le principe de précaution tend à se légitimer par l’apparition d’un droit fondamental à la sécurité, dont il semble s’être imposé comme le corollaire.

 

La notion de sécurité, définie comme « la confiance bien ou mal fondée qu’on est à l’abri de tout péril » par Diderot, consisterait aujourd’hui dans l’élimination des sources de notre insécurité : la pollution, la maladie, la violence, l’injustice, etc. Cette notion semble connaître une résurgence dans le discours politique depuis la Loi d’orientation et de programmation relative à la sécurité de 1995 et est aujourd’hui largement repris par le monde médiatique. Le temps des élections, qui survient de manière périodique et que la société ne quittent jamais pour très longtemps, est d’ailleurs devenu le porte-voix de cette incessante recherche d’une sécurité. La sécurité est aujourd’hui le thème de campagne électoral le plus discuté, cristallisant les peurs, irriguant la société et, finalement, déterminant l’opinion publique.

 

 

« La sécurité devient à la fois l’argument ultime justifiant l’atteinte aux droits fondamentaux, mais aussi, dans le même temps, le reposoir de ces droits ». (Cycle de conférences sur les fonctions contemporaines du droit 2007-2008, « Le droit à la sécurité... La sécurité par le droit », Faculté de droit de L’université de Montréal et Centre de recherches en droit public)

 

Le fondement du principe de précaution pourrait alors se situer dans l’affirmation de plus en plus fréquente d’un droit à la sécurité qui illustre parfaitement la mutation du droit pénal et plus largement de la société, par son regard et ses attentes vis-à-vis des institutions.

 

L’émergence du principe de précaution entraine une difficulté supplémentaire lorsqu’il constitue le fondement d’une nouvelle infraction car aucune valeur protégée ne peut alors être reconnue et dégagée du texte d’incrimination. Ou faut-il alors envisager que nous assistons à la création d’un nouveau bien juridique. La difficulté paraît en effet insurmontable dès lors que la réflexion se porte sur les seuls biens juridiques traditionnels, tels que la vie, la propriété ou la dignité. Mais en se défaisant des valeurs protégées séculaires pour en intégrer une nouvelle, ces infractions de précaution pourraient alors reposer sur la nécessité d’assurer la sécurité de tous, ou plutôt « du plus grand nombre ».

 

Le droit à la sécurité pourrait-il constituer cette nouvelle valeur protégée ? Cette valeur qui justifierait une modification des principes directeurs du droit pénal, en ce que, pour sauvegarder le droit à la sécurité, une anticipation d’un résultat infractionnel pourrait sembler justifiée sur le fondement du principe de précaution ?

 

Ce mouvement n’est pas spécifique à la France et se retrouve dans de nombreuses démocraties, pourtant attachées aux principes fondamentaux du droit pénal. Des dérives similaires se retrouvent dans de nombreuses démocraties occidentales. Les pays de Common Law ont mis en place un système d’injonctions civiles permettant de restreindre les libertés personnelles d’une personne sur le fondement d’un comportement non pas infractionnel, mais simplement déviant ou asocial. La détention de sûreté allemande a par ailleurs servi de modèle à la création de la rétention de sûreté en France.

 

Le « monde mondialisé » dans lequel nos sociétés s’inscrivent (et se débattent) semble généraliser l’évolution du droit pénal dans de très nombreux pays démocratiques. L’émergence du principe de précaution pourrait alors s’avérer être une donnée universelle de notre époque. Il faudrait combiner les résultats des recherches juridiques menées dans les démocraties modernes pour découvrir si, au contraire, d’autres stratégies de politique criminelle n’ont pas été mises en places pour lutter efficacement contre la délinquance et le sentiment d’insécurité des citoyens.

 

À ce stade, la question subsiste : dans quelles mesures et sous quelles conditions, le principe de précaution peut-il s’inscrire comme un principe directeur du droit pénal, au même titre et aux côtés des autres principes directeurs ?

 

L’état du droit positif, les réformes législatives, les annonces réactionnelles, le durcissement de la répression après chaque fait divers qui agite la société, et finalement les atteintes répétées aux principes traditionnels qu’ils entrainent, nous conduisent, avec pessimisme il est vrai, à conclure que le principe de précaution ne peut cohabiter avec eux sans les dénaturer ou les détruire.

 

Conclusion qui ouvre alors une nouvelle piste de réflexion visant à déterminer si sa réception en droit pénal ne signerait pas une conception nouvelle du droit de punir. C’est finalement une profonde réflexion sur les fondements du droit de punir, sur le rôle, la fonction et les enjeux du droit pénal, sur la survivance du droit pénal tel que nous le connaissons, et sur l’impact des sociétés et le rôle qu’elles peuvent jouer, au travers des médias et les réseaux sociaux, qui devrait être menée.

 

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